Qu’elles soient gentilles ou malicieuses, bonnes ou mauvaises, contemporaines ou légendaires, elles font partie intégrante des fondements de nos sociétés, de nos quotidiens. Les sorcières sont partout, de tout temps et de toutes les cultures.
Sorcières : les racines d’un mal dénué de couleur
Au sein du croissant fertile, les concepts de civilisation et de déités cohabitent tant bien que mal dans un intérêt collectif précaire et vacillant. Mais au milieu des tourments présents, quelques femmes se présentent comme étant différentes. Défigurée par l’amour, grisée par le savoir ou stagnante par la sagesse, les sorcières imposent leurs intérêts, se jouant des époques et des apparences. Elles voient les ficelles du monde et n’hésitent pas à en jouer, dansant sur la toile des hommes. Ce fait, Mimar va l’apprendre aux dépens du bazar qu’il gère. Mais pendant ce temps, une jeune tisserande tout droit venue des grandes plaines arrive en ville… Jusqu’où ira le sacrifice ?
En pleine forêt d’Amérique du sud, les esprits rendent les shamans particulièrement puissants. Toutefois, même eux ne sont pas de taille face à l’avidité des hommes. Mais quand certains baissent les bras et décident de vendre la forêt au plus offrant, une jeune femme ne l’entend pas ainsi. Plus puissante Shaman depuis des générations, elle compte bien se battre. La forêt sera-t-elle assez forte pour gagner le droit de survivre face à l’avidité ?
Les récits sur les sorcières sont nombreux et jouent souvent sur le fait d’être entre une certaine notion du bien et du mal. C’est par exemple le cas de Myrtis de Elsa Brants ou encore de Mémoires de Gris de Sylvain Ferret. Ici, nous sommes sur une idée plus large, exprimant le concept même de sorcière dans son sens le plus direct : une femme ayant compris les rouages du monde. Certaines s’en servent pour leur intérêt personnel, d’autres pour l’intérêt collectif, et d’autres ne s’en servent tout simplement pas. Si magicienne, diseuse de bonne aventure ou shaman représente leur utilisation de ce savoir, un nom reste malgré tout gravé. Elles sont des sorcières. Des femmes au demeurant comme les autres, qui aiment, détestent, souffrent, ont un avis sur les choses qui les entourent et vivent. Le tout est magiquement narré par Daisuke Igarashi dans ce premier tome de Sorcières, compilant une suite d’histoires plutôt conséquentes.
Sorcières est un manga écrit par Daisuke Igarashi en 2004 et publié deux ans plus tard par Casterman dans son édition Sakka. L’édition qui nous intéresse aujourd’hui est celle de Delcourt-Tonkam pour sa collection Moonlight, sortie le 14 Mai 2025. La date de sortie du second tome n’a pas encore été annoncée.
Conte fantasmagorique
Si Daisuke Igarashi nous avait montré sa capacité à déconstruire l’environnement dans l’excellent Petite Forêt, ils nous montre dans Sorcières sa capacité à produire des paysages à couper le souffle. Malgré l’abstraction toute particulière de son trait, il donne un côté photographique à ses paysages, si bien qu’ils en deviennent particulièrement réalistes. Son utilisation des trames est assez brute, le charadesign de ses personnages toujours aussi fin, jouant de ce qu’ils sont avant de ce à quoi ils ressemblent. L’esthétisme devient alors secondaire, propulsant les émotions et la force de narration sur le devant de la scène. Dans cette œuvre, Daisuke Igarashi parvient à faire de sublimes démonstrations techniques, dans la simplicité la plus efficace comme dans l’ultra détaillé le plus grisant. Il parvient à casser les barrières, les limites, les normes et à nous propulser en un instant dans un monde qui n’a plus rien à voir avec notre réalité. Les rythmes sont assez inégaux et s’adaptent avant tout à ses scénarios, permettant à ses histoires de prendre des longueurs très variables.
Côté édition, Delcourt-Tonkam se rapproche de l’édition de Petite Forêt au détail près que la couverture cartonnée est entièrement blanche. La couverture est semi-transparente et rend particulièrement bien. L’édition est de grande taille et d’excellente facture. A noter toutefois que pour 16€, on aurait espéré avoir un intégral comme pour Petite Forêt.
Conclusion
Sorcières est-il pour vous ? C’est un manga qui, une fois de plus, sort du lot. Très personnel, le sujet est singulier et son traitement l’est tout autant. Il ne conviendra pas à tous, mais son approche forte et grisante devrait satisfaire les fans de seinen les plus complets.
Oui ! C’est un très grand OUI pour Sorcières ! Daisuke Igarashi signe ici un véritable chef d’œuvre, qui parvient à nous faire passer d’une émotion à une autre en un claquement de doigt, par ses personnages, sa mise en scène ou son cadre. Un manga d’une puissance rare !